Après des mouvements importants (et opposés) des primes de risque des titres à revenu fixe (hausse) et des actions (baisse), les obligations offrent désormais une prime de risque plus élevée que les actions pour la première fois depuis 2008.
Le marché actions nous semble être vulnérable. Des craquelures commencent à apparaître si l’on en croit des données récentes sur le marché du travail. Les principaux indicateurs économiques tels que les enquêtes auprès des responsables du crédit et des dirigeants d’entreprise indiquent un trou d’air à venir aux États-Unis et en Europe. Les valorisations à 12 mois et les prévisions de bénéfices qui permettent de les déterminer ne sont pas en phase avec un ralentissement de la croissance (et une inflation plus faible).
L’investissement, en particulier, devrait encore baisser tant aux États-Unis qu’en Europe. Aux États-Unis, les niveaux actuels suggèrent déjà un taux de chômage significativement plus élevé à venir.
Avec la perspective d’une nouvelle surchauffe de l’économie (aux États-Unis) désormais très peu vraisemblable et des indicateurs qui commencent à se retourner, nous pensons même qu’une récession ou une récession accompagnée d’inflation (“stagflation”) sont les hypothèses macroéconomiques les plus probables au cours des 6-12 mois qui viennent.
Dans l’ensemble, nous estimons que la configuration actuelle du marché et de la macroéconomie justifie la prudence. Pourtant, les actions sont à des cours plus élevés qu’elles ne l’étaient en janvier, les estimations de bénéfices sont globalement optimistes et notre indicateur de température du marché des actions est au rouge. Les zones où nous sommes positionnés avec prudence (Europe et Etats-Unis) sont particulièrement concernées, et les marchés émergents, sur lesquels nous sommes acheteurs, sont particulièrement attractifs.
Les taux d’intérêt – Une nouvelle opportunité
Maintenant que les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans ont grimpé à 4,00 % en quelques jours de cotation, nous avons commencé à constituer des positions acheteuses sur les obligations souveraines américaines dans des portefeuilles multi-actifs, en plus de notre exposition aux TIPS américains à long terme (bons du Trésor protégés contre l’inflation) qui consomme la plus grande partie de notre budget de risque.
Les investisseurs ont vendu des bons du Trésor américain en se basant sur des données plus positives (mais légèrement retardées) sur les marchés de l’immobilier et du travail aux États-Unis et sur des inquiétudes sur une potentielle intervention agressive de la banque centrale, entretenues par les comptes-rendus des dernières réunions de l’instance décisionnaire Federal Open Market Committee. Une Fed plus hawkish pourrait faire monter les taux longs à 4,25% ou plus, des niveaux auxquels nous chercherions à accroitre nos investissements, toutes choses étant égales par ailleurs.
À mesure que de nouvelles données seront publiées, les rendements nominaux à 10 ans pourraient descendre à 3,00 % ou moins selon l’ampleur de la correction de la croissance. À 4,00 %, l’avantage de la diversification des obligations d’État ne doit pas non plus être négligé: la dernière fois que des investisseurs ont connu des rendements supérieurs à 4,00 %, c’était au cours de la période précédant la Grande crise financière (de 2008-2009).
En ce qui concerne les obligations d’entreprise, nous avons assisté à un resserrement significatif et sans discernement des spreads (écarts) de crédit. Bien que cela puisse indiquer que les investisseurs considèrent l’environnement macroéconomique actuel comme positif pour les opérations de portage (carry trades en anglais), nous sommes plus sélectifs.
Nous continuons de considérer le marché des obligations d’entreprises “investment grade” (IG) européen comme la position la plus attractive. Il offre aux investisseurs un rendement appréciable avec des attentes de taux de défaillances d’entreprises trop pessimistes alors que les bilans des entreprises concernées sont solides.
Avec les écarts de taux d’intérêt (spreads) actuels, les spreads IG européens offrent aux investisseurs des rendements au-dessus de ce qui serait la moyenne pour le niveau de notation immédiatement inférieur – avec, par exemple, les spreads AAA offrant un écart de taux d’intérêt qui serait encore attractif pour le niveau AA, soit le niveau juste en-dessous. Ce n’est pas le cas des obligations IG américaines.
Comme indiqué, notre position de risque la plus importante est actuellement la surpondération des TIPS américains, tandis que notre position la moins risquée est le crédit IG en euros (voir tableau ci-dessous).
Exploiter les écarts de taux entre les bons du Trésor britannique et allemand
Dans un contexte d’inflation persistante, les rendements obligataires européens ont atteint notre objectif de 2,50 %, et nous avons pris de modestes bénéfices sur notre position vendeuse tactique dans des portefeuilles multi-actifs mise en place lorsque les rendements des obligations d’État allemandes (Bund) étaient à 2,21 %.
Nous sommes passés à acheteurs sur les bons du Trésor britanniques (Gilts) à 10 ans et avons adopté une position vendeuse sur les Bunds à 10 ans, afin d’exploiter l’asymétrie des taux.
Les écarts de taux des Gilts sont proches des sommets de la « crise des LDI » de septembre dernier lorsque les besoins de couverture en capitaux ont déclenché un cercle vicieux de vente d’obligations qui a forcé la Banque d’Angleterre (BoE) à intervenir en tant qu’acheteuse de dernier recours et à rétablir la stabilité. Les inquiétudes quant à la capacité du gouvernement britannique de l’époque à assurer la viabilité de sa dette ont “cassé” le marché des Gilts.
Nous pensons que de nombreuses inquiétudes concernant la politique britannique et la BoE se répercutent désormais sur les prix. Les obligations européennes, en revanche, sont jugées refléter le “meilleur des mondes”. Cet arbitrage offre également des perspectives de gains modestes.
Récemment, la BCE a relevé ses prévisions d’inflation à des niveaux toujours supérieurs à son objectif à moyen terme de 2 %, tout au long son horizon de prévision. Les coûts salariaux unitaires semblent être à l’origine de ces prévisions, ce qui suggère une certaine persistance dans ces perspectives. Notre équipe macroéconomie pense que la BCE va relever à nouveau ses taux en juillet – à 3,75 % – puis les baisser à partir du premier trimestre 2024.
L’appétit au risque atteint des niveaux extrêmes
Un appétit élevé pour le risque nous semble être en contradiction avec les craquelures qui commencent à apparaître via les données macroéconomiques récentes telles que les demandes d’allocations chômage hebdomadaires aux États-Unis (en hausse) et les enquêtes auprès des responsables du crédit et des dirigeants d’entreprise (indiquant des carnets de commande peu étoffés aux États-Unis et en Europe). Les niveaux d’investissement aux États-Unis sont déjà compatibles avec un chômage significativement plus élevé (voir le graphique n°1).
Graphique n°1
Concentrez-vous sur l’investissement, pas sur la consommation
Sources: BNP Paribas Asset Management, ASR et Macrobond; juin 2023
Selon nous, l’appétit pour le risque des investisseurs tend désormais vers des niveaux extrêmes. Les primes de risque des obligations et des actions ont évolué dans des directions opposées, avec les premières supérieures aux secondes. C’est la première fois que cela se produit depuis 2008 (voir graphique n°2), ce qui est significatif à notre sens.
De manière générale, nous pensons que les valorisations cours-bénéfices (PER) des actions sont au plus haut, les estimations des bénéfices pour 2024 sont (trop) optimistes et notre indicateur de température du marché des actions est au rouge. Les zones où nous sommes prudemment positionnés – l’Europe et les États-Unis – sont particulièrement concernées par cette situation.
Nous sommes frappés par l’écart entre la détérioration des résultats des enquêtes d’activité dans le secteur manufacturier américain – qui peut être considéré comme un indicateur avancé de l’économie dans son ensemble – et les tendances récentes du marché boursier (voir graphique n°3).
Renforcer notre position dans les banques européennes
Nous avons renforcé notre positionnement relatif sur les banques européennes; nous nous attendons à ce qu’elles continuent de surperformer le marché européen dans son ensemble.
Cette vision est basée sur:
- De bons bénéfices attendus (après l’un des meilleurs résultats trimestriels de tous les temps)
- De solides marges nettes d’intérêt (qui seront favorables pendant quelques années)
- Un rendement croissant des capitaux propres
- Une rentabilité au plus haut depuis dix ans
- Des tendances opérationnelles et réglementaires positives
- Des provisions pour pertes sur prêts déjà constituées.
Nous considérons que les banques se comportent comme de semi-services aux collectivités qui offrent de meilleurs rendements potentiels dans un monde où l’inflation est plus élevée; l’équivalent de 34 % de leur capitalisation boursière devrait être reversée aux actionnaires cette année sous forme de dividendes et de rachats d’actions.
Les valorisations semblent être attractives si l’on se réfère à plusieurs indicateurs (ratio cours/bénéfice anticipé, rendement du dividende); ceux-ci sont à des plus bas de plusieurs décennies ou proches de ce plancher.
Marché des actions asiatiques – Taïwan, Corée du Sud et Japon
La stagnation de la performance des actions asiatiques – notre position acheteuse préférée alors que nous sommes vendeurs en Europe – masque de grandes divergences; les marchés boursiers de Taïwan et de Corée du Sud faisant bien mieux que la Chine. Des divergences similaires, mais moindres, peuvent être observées dans l’évolution des estimations des analystes des bénéfices par action (BPA) sur une année: seul les BPA sud-coréens ont montré une reprise notable.
Les données macroéconomiques en Corée du Sud se sont améliorées, mais les poids lourds de l’indice (Samsung et Hynix) n’ont été que partiellement réévalués. Taïwan, en revanche, a bénéficié de l’engouement des médias et du marché autour de l’intelligence artificielle ces derniers mois. Le marché taïwanais est sous-coté par rapport à sa valorisation historique si on le compare au secteur technologique et à celui des semi-conducteurs au niveau mondial.
Enfin, au Japon, où nous sommes restés neutres jusqu’à présent, les données sur l’activité économique et l’inflation s’améliorent et l’automatisation des usines, secteur-clé de l’économie nippone, semble traverser un trou d’air. Les flux de capitaux reviennent, mais restent bien en deçà des niveaux d’il y a quasiment dix ans. Les objectifs de réforme des entreprises et de rentabilité reviennent sur le devant de la scène. Nous voyons dans ce marché une opportunité de redevenir acheteurs, au juste prix.
Des baromètres multi-actifs tels que la performance de la dette asiatique à haut rendement (HY) par rapport à celle du crédit américain HY nous suggèrent que la performance de l’indice MSCI EM (émergents) par rapport à celle de l’indice des marchés développés n’a pas suivi la baisse du risque de crédit consécutif à la réouverture de la Chine postpandémie. Notre point de vue sur les actions asiatiques émergentes reste favorable.
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